La vida es sueño: le théâtre minimal et baroque de Roland Poulin

Olivier Asselin

Portrait de l’artiste, image tirée de la vidéo Spirit of the Art, The Donovan Collection, OMNI Television

Portrait de l’artiste, image tirée de la vidéo Spirit of the Art, The Donovan Collection, OMNI Television

Oliver Asselin est scénariste et réalisateur. Il enseigne également l’histoire et le cinéma à l’Université de Montréal.

“The look of art”. C’est ainsi que, dans une conversation bien informelle, un historien d’art francophone résumait le travail de Roland Poulin: “the look of art”. Dans cette description se formulait sans doute un jugement, un jugement de goût, et négatif (évidemment bien discutable), mais compliqué d’une étrange résonance, une résonance historique, celle de la citation. Car notre historien savait ce qu’il disait. En effet, le propos reprend, en 1’inversant, un mot de Clement Greenberg, qui, quelques trente ans plus tôt, reprochait à la “sculpture” minimale de ne viser que le “look of non-art”, qui produit un “effet de présence” “superflu”, mais qui ne dépasse pas le “good design”. Et le propos renvoie aussi, de ce fait, aux réflexions de Michael Fried, qui, citant lui-même Greenberg, reprochait à son tour à l’art minimal de trop approcher la “condition of non-art”, ce qu’il rebaptisait là l’objecthood, dont la singulière présence lui semblait incompatible avec le modernisme, avec 1’art même et 1’art de qualité.

Mais quel est donc le sens de cette double citation inversée, qui pense non pas tant une rupture entre le minimalisme et l’oeuvre de Poulin mais une filiation? Qu’est-ce qui lie le “look of anti-art” du minimalisme et le “look of art” de l’oeuvre de Poulin? C’est le “look”, bien sûr. C’est cela qui gêne notre historien ici et qui gênait Greenberg et Fried là: le “look”, c’est-à-dire, pour reprendre le terme, synonyme mais plus élégant, de Michael Fried: la théâtralité. Que 1’on approuve ou désapprouve le jugement dont elle est 1’occasion, il faut avouer que cette description est juste: l’oeuvre de Poulin est théâtrale. Mais cela ne constitue pas, comme le pensait notre historien, une faiblesse, mais la force de cette oeuvre, toute sa modernité. Car elle 1’est essentiellement et même manifestement, depuis ses premières formulations abstraites jusqu’à ses récentes conclusions spirituelles, dans son large déploiement comme ses moindres replis.

EN

 L'oeuvre au noir ou les passages de l'ombre

Josée Belisle

Quadrature (1978)

Quadrature (1978)

Le texte est accompagné des propos de l'artiste

Josée Belisle a été commissaire et conservatrice de la Collection permanente au Musée d'art contemporain de Montréal de 1988 - 2015. Ce texte a été publié à l'occasion de l'exposition Roland Poulin, présentée au MACM du 5 novembre 1999 au 26 mars 2000.

Depuis 30 ans, Roland Poulin bouscule l'ordre établi de la chose sculpturale et propose, en réponse au chaos existentiel, des voies de passage formelles où coexiste l'intime, le tragique et une éloquente résistance. Ses sculptures et ses dessins sondent les profondeurs d'espaces reconstitués, où se confondent le réel et les apparences, l'idée de l'objet et l'infinie rigueur de sa mise en forme. 

Tout au long d'un parcours exigeant et sans concession, l'artiste s'interroge sur les spécificités d'une pratique ancrée simultanément dans la connaissance de la tradition et la réévaluation de son abandon moderniste. « Ce que Roland Poulin appellera son désir de produire des "objets difficiles" désigne justement des objets de représentation conjuguant les résultats perceptifs de points d'observation différents sur le réel, qui sont donc impossibles à "percevoir" dans le même moment, mais qui produisent des images mnésiques qui exigent d'être intereliées dans la construction d'un système de représentation » (Fernande St-Martin). Primordiale, la dimension temporelle de l'expérience sous-tend l'oeuvre et la valide. Concises, denses, minimales, les formes livrées au regard se dévoilent et prennent sens dans l'alternance du vide (original, absolu) et du plein (la matière fabriquée). 

Pour moi, le sens ne précède jamais l’expérience. Je ne tiens pas à proposer au spectateur une expérience où il est subjugué par le travail parce qu’il est dépassé par l’échelle : c’est à son échelle. On peut participer, faire l’expérience de ces sculptures, s’arrêter, être dans un état d’attention ou de contemplation active en se déplaçant autour de l’objet. On a déjà dit de mes sculptures : “They are slow sculptures.” Les sculptures ne viennent pas vers nous : il faut aller vers elles, il faut en faire l’expérience, c’est une expérience temporelle, qui se déroule dans le temps qui s’adresse à tous les sens.

Les propos de Roland Poulin sont extraits des entretiens accordés au cours de la préparation de l'exposition au MACM.


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